Voyage au Pays Linux – Informatique éthique, et toc !
Depuis quelques années les ordinateurs gagnent du terrain un peu partout, et de plus en plus de familles s’équipent pour suivre la mode et tenter de suivre “le progrès”.
Voici deux témoignages, le mien, et celui de Cazalrenoux, pour parler des logiciels libres, à travers les systèmes d’exploitation dotés du noyau Linux. Nos deux témoignages s’adressent à un public non connaisseur, et sont le résultat d’une réflexion lors de nos propres transitions : nos apprentissages et le regard nouveau porté sur le monde des utilisateurs de micro-ordinateurs, lors de nos migrations.
J’habite dans l’Est de la France tandis que Cazalrenoux vit au Sud. J’ai fondé et commencé à développer l’association Mieux Être et Synergie. Cazalrenoux est Rédacteur en Chef du journal associatif “Le Grumeau Alternatif”, publié dans l’Aude, et utilisateur de logiciels libres/et non libres avec une spécialité musicale.Voici nos témoignages :
Mélodie : J’ai créé avec un ami une association loi 1901, en Octobre 2003, nommée Mieux Etre et Synergie, qui a pour but d’informer un large public sur divers thèmes, l’alimentation et l’agriculture biologique, l’habitat sain, et tous thèmes représentant des alternatives aux modèles de consommation et de fonctionnement conventionnels.
Cazalrenoux : Moi-même, je suis obligé de travailler aujourd’hui avec un ordinateur, c’est devenu une addiction; même si je sais combien c’est mauvais… (1)
Mélodie : j’ai acheté au début de l’année 2004 un ordinateur, pour réaliser les statuts, faire les courriers, affiches, et tout ce dont une association peut avoir besoin.
Je me suis fournie auprès d’une entreprise locale.
Après plusieurs semaines passées à tenter de réaliser quelques travaux, entre deux pannes du système Windows, de la connexion Internet, d’alertes aux virus entrecoupées de mises à jour tour à tour de l’anti-virus ou du système, accompagnés de scans (vérifications des fichiers) se déclanchant sans avertissement, (bien entendu quand j’étais plongée dans un passionnant travail de rédaction ou de mise en page), le travail que je voulais effectuer n’avançait pas vraiment bien.
J’étais plutôt exaspérée.
De la suite bureautique OpenOffice.org, et ses forums, lieux d’entraide et d’échange sur Internet, au site Linux-France en passant par Ikarios, de SlyUnix (n’existe plus depuis courant 2007) à Framasoft, un trimestre m’a suffit pour plonger dans l’univers des logiciels libres, et son étonnante communauté d’utilisateurs.
Explications et analyse sur les Logiciels Libres, par Cazalrenoux:
Symbole du progrès technologique de la société occidentale depuis une bonne vingtaine d’années, la micro-informatique s’est peu à peu imposée comme un outil incontournable dans tous les domaines, tout en devenant parallèlement une référence majeure du loisir, du divertissement, et donc de la consommation.
Mis à part l’extrême rapidité de son développement, ce phénomène est comparable à l’évolution de nombre d’outils, qui, bien que transformés par le système capitaliste en objets de consommation, peuvent être utilisés de manière justifiée, pour peu qu’on relativise leur fonction (comme l’automobile). Pour être clair, si on s’oblige à n’investir qu’en fonction de ses besoins réels, qu’on tente de réparer plutôt que de changer, et qu’on se fournit en privilégiant le marché de l’occasion, on limite déjà pas mal le cadre de sa propre consommation.
Mais cela est vrai pour tout nos besoins matériels, et pour les habitués de ce type de pratique, l’ordinateur n’aura que la place qu’il mérite dans un environnement défini « en conscience ». Par contre, l’informatique a cette particularité qu’elle n’est pas utilisable par tout un chacun sans l’adjonction d’un bien immatériel qu’on appel un logiciel.
Le logiciel est en fait un ensemble d’instructions, qui une fois exécutées par la machine permettront à l’utilisateur d’obtenir un résultat. A priori, rien de sorcier, sauf qu’au fil du temps, les logiciels se sont développés de manière à offrir à chaque utilisateur un panel de possibilités de plus en plus étendues. Ils sont ainsi devenus très polyvalents, et se sont éloignés d’une logique purement « informatique » pour s’approcher d’une logique plus universelle, laissant une certaine place (très relative pour l’instant…) à l’intuition. Bref, conçus par des informaticiens, les logiciels sont aujourd’hui très complexes, et l’essor de l’informatique est en partie dû à ces spécialistes.
Mais comme toujours dans nos sociétés modernes, qui dit « confiance » dit « dérive » et qui dit « spécialistes » dit « prise de pouvoir »…
Donc, pour utiliser un ordinateur, il faut un logiciel (en fait plusieurs, complémentaires) adapté à ce qu’on veut obtenir de la machine : éditer du texte, faire de la comptabilité, communiquer, etc… Ces logiciels sont assortis d’une licence d’utilisation, c’est à dire un ensemble de conditions que l’utilisateur s’engage à respecter pour avoir le droit d’utiliser légalement cet outil. Rien d’étonnant à cela, quand on sait la quantité de travail que la conception d’un logiciel représente.
Depuis 1984, année d’élaboration du projet GNU par Richard Stallman, il existe principalement deux type de licences logicielles : la licence libre (General Public License) et la licence propriétaire. Une caractéristique de la licence propriétaire est de contenir un « accord de non divulgation », ce qui fait dire à R. Stallman2 que « …la première étape de l’utilisation d’un ordinateur était de promettre de ne pas aider son prochain. On interdisait toute communauté coopérative. »
Par conséquent, la licence propriétaire impose la concurrence comme seule possibilité d’évolution des logiciels, ce qui amène les sociétés éditrices à élaborer des stratégies commerciales pour rafler des parts de marché. L’une de ces stratégies consiste en l’élaboration de « formats propriétaires », qui sont en fait une façon de coder les résultats du travail de l’utilisateur, de manière à limiter les possibilités d’exploitation de ce résultat. Autrement dit, lorsque vous travaillez avec un logiciel, par exemple un traitement de texte, à la fin de votre journée de travail vous sauvegardez sur un support informatique un document numérique qui est le résultat de vos réflexions et qui devrait vous appartenir.
Eh bien en fait, si vous avez travaillé avec un logiciel propriétaire, pour reprendre votre travail le lendemain, vous êtes contraint d’utiliser un logiciel du même éditeur sans quoi vous ne pourrez pas décoder votre document. Par extension, vous êtes obligé de respecter à nouveau les obligations de la licence propriétaire, et ce processus vous amène à devenir dépendant d’un éditeur de logiciel… Même si d’un point de vue idéologique, il s’agit là d’une problématique évidente, d’un point de vue pratique cela peut paraître tiré par les cheveux, mais cette dépendance devient vite concrète si la société qui édite le logiciel qu’on a pris l’habitude d’utiliser dépose son bilan…
On peut continuer à accéder à ses documents, mais le jour où on doit changer d’ordinateur ou de système d’exploitation, comme les caractéristiques d’un format propriétaire sont secrètes, personne n’a pu le faire évoluer entre temps, et les documents sont perdus… L’histoire du logiciel est parsemée de ce type de catastrophes, et l’hégémonie récente de Microsoft ne garanti absolument pas la pérénité de ses formats propriétaires (.doc, .xls, pour ne citer que ceux là).
Ce mécanisme de dépendance d’un producteur (intellectuel) vis à vis d’une multinationale (éditeur) fait naturellement penser aux stratégies mises en place par les grands semenciers pour asservir l’agriculture. Il suffit de remplacer la licence par le contrat, les formats propriétaires par les gènes « terminator », et le décor est planté. Maintenant, tout comme un mouvement de protestation s’est mis en place en faveur de l’agriculture paysanne face aux pressions du marché, un développement des logiciels libres est en cours, et si l’analogie s’arrête là, il est important que les individus, organismes et associations qui luttent contre les dérives de la mondialisation et contre la pensée unique cessent immédiatement d’utiliser des logiciels propriétaires.
De plus, cultiver des OGM en plein champs serait une hérésie même avec des semences volées, n’est-ce pas? Eh bien travailler avec des logiciels propriétaires, même gratuits (ça arrive), et même si on les a volés, est en contradiction totale avec un idéal social basé sur la coopération plutôt que sur la compétition.
Alors quelles sont les solutions? Eh bien il existe aujourd’hui des systèmes d’exploitation complets, libres, prévus pour tous les ordinateurs compatibles PC, et pour les ordinateurs MacIntosh et aussi d’autres, Sparc… appartenant à la famille GNU/Linux (les logiciels système et applicatifs GNU articulés autour du noyau Linux). De nombreuses applications libres également, ont été développées pour ces systèmes, principalement par des informaticiens bénévoles, pour permettre de faire pratiquement tout ce qu’on a pris l’habitude de faire avec des logiciels propriétaires, cela dans un environnement graphique (avec des fenêtres et une souris), bien entendu.
Je dis « pratiquement » parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire comme dans un système Windows, mais il y en a aussi qui dépassent l’imaginaire de l’utilisateur de Windows… Par ailleurs, ce système est gratuit, stable, très bien sécurisé, multi-utilisateurs (réellement!), et certaines applications permettent, grâce à la technique de rétro-ingénierie, de décoder des documents écrits sous des formats propriétaires (par exemple, le logiciel OpenOffice.org permet d’ouvrir des documents au format .doc).
Utiliser ce système revient à valoriser un nouveau genre de bien commun qu’est le logiciel libre, dont la reconnaissance et le développement permettront de réduire de manière définitive ce qu’on a appelé « la fracture numérique », et permet également d’envisager une sorte d’autonomie technologique individuelle, fonctionnelle quand à l’accès à l’information, et intégrée à l’autonomie de subsistance.
Cazalrenoux
Notes :
1.Majid Rahnema, auteur de Quand la misère chasse la pauvreté (Fayard-Actes Sud, 2003), interrogé par La Décroissance, N°23, p.5 2.Richard Stallman, Le projet GNU, http://www.gnu.org/gnu/thegnuproject.fr.html